- La Cour européenne des droits de l’homme estime que la Belgique aurait dû examiner de façon plus appropriée les circonstances dans lesquelles s’est déroulée l’euthanasie de Godelieva de Troyer, en 2012.
- Bien que l’arrêt ne remette pas en cause le cadre légal relatif à l’euthanasie en Belgique, les faits et éléments du dossier illustrent clairement les risques entourant la légalisation et la pratique de l’euthanasie, ainsi que l’inefficacité des ‘garanties’ (conditions) légales.
STRASBOURG (le 4 octobre 2022) – Dans une affaire importante concernant le droit à la vie, la Cour européenne des droits de l’homme a donné raison à Tom Mortier, fils de Godelieva de Troyer décédée en 2012 suite à une injection létale euthanasique, à l’âge de 64 ans. L’euthanasie avait été effectuée sur la base d’un diagnostic de “dépression incurable”. Dans son arrêt consacré au cas “Mortier contre Belgique”, la Cour condamne la Belgique pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme, parce qu’elle n’a pas examiné correctement les circonstances alarmantes entourant la demande d’euthanasie.
La Cour constate que la Belgique a violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule que le droit de toute personne à la vie doit être protégé par la loi. Elle fait notamment référence à l’examen des circonstances de l’euthanasie par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, ainsi qu’au manque de célérité d’une procédure pénale intentée après le décès de Godelieva de Troyer. La Cour a cependant également estimé que la loi belge sur l’euthanasie avait été respectée.
“Tenant compte du rôle crucial joué par la Commission dans le contrôle a posteriori de l’euthanasie, la Cour estime que le système de contrôle établi en l’espèce n’assurait pas son indépendance”. Pour la Cour, la Belgique a manqué à son obligation procédurale qui découle de l’article 2 de la Convention, autant en raison du manque d’indépendance de la Commission qu’en raison de la lenteur de la procédure pénale. En revanche, la Cour, par cinq voix contre deux, n’a pas estimé que la loi belge relative à l’euthanasie violait le droit à la vie, consacré à l’article 2 de la Convention.
“Nous saluons le fait que la Cour ait constaté une violation de l’article 2, car cela illustre clairement l’inaptitude de toute condition légale ou ‘garantie’ légale à encadrer adéquatement les pratiques visant à mettre intentionnellement fin à la vie. Cette décision remet en cause l’existence d’un soi-disant ‘droit de mourir’ et met en lumière les graves dérives inévitablement observées au sein de la société lorsque l’euthanasie est légalisée.
Malheureusement, alors que la Cour indique que l’introduction de ‘garanties’ supplémentaires pourrait contribuer à une meilleure protection du droit à la vie, elle démontre, par son propre arrêt, que les lois et protocoles déjà en place n’ont pas réussi à protéger les droits de la mère de Tom. S’il est dommage que la Cour ait rejeté la contestation de la législation belge relative à l’euthanasie, il n’en demeure pas moins vrai que désormais, en Europe et dans le monde entier, des doutes fondés existent quant à l’aptitude de conditions légales à effectivement protéger les personnes vulnérables, là où l’euthanasie est légalisée.
En réalité, une fois la pratique autorisée, aucune ‘garantie’ légale n’est en mesure d’atténuer les dangers qui l’accompagnent inévitablement. Rien ne pourra faire revenir la mère de Tom, mais nous espérons tout de même que ce jugement lui rend, dans une certaine mesure, justice”, explique Robert Clarke, Directeur adjoint d’ADF International, qui a représenté Tom Mortier devant la Cour.
Les éléments du dossier mettent en exergue les dangers qui accompagnent la dépénalisation de l’euthanasie, et démontrent que même des ‘garanties’ ancrées dans la loi (conditions légales) ne suffisent pas à protéger le droit à la vie lorsqu’il est légalement permis de provoquer la mort d’un individu.
La mère de Tom avait pris contact avec un oncologue connu comme étant le plus fervent défenseur du ‘droit à l’euthanasie’ du pays, qui avait ensuite accepté de l’euthanasier. En l’espace de quelques mois, celui-ci l’avait envoyée consulter d’autres médecins, membres ou proches d’une association qu’il préside, malgré la disposition légale qui exige plusieurs opinions indépendantes lorsqu’il est question de personnes dont le décès n’est pas attendu prochainement. L’euthanasie n’est par ailleurs intervenue qu’après que la mère de Tom ait effectuée une donation à l’association précitée, promouvant le ‘droit de mourir dans la dignité’, et fondée par ce même médecin. De plus, ce médecin, qui a finalement effectué l’euthanasie, est coprésident de la commission fédérale chargée de contrôler (a posteriori) la légalité des euthanasies effectuées – y compris celle de la mère de Tom Mortier, ce qui a nécessairement donné lieu à un grave conflit d’intérêt. En Belgique, l’on recense en moyenne sept euthanasies par jour, sur une période de vingt ans. Pourtant, jusqu’à présent, la commission n’a renvoyé qu’un seul dossier pour une investigation plus approfondie.
“Le vrai problème est qu’apparemment, dans notre société, nous avons oublié ce que signifie prendre soin les uns des autres ”
Voilà ce qu’a dit Tom Mortier après avoir été informé du décès de sa mère. Ni lui-même, ni d’autres membres de sa famille n’avaient été consultés au sujet de la demande d’euthanasie. Selon l’oncologue qui a administré l’injection mortelle, sa mère souffrait d’une ‘dépression incurable’.
L’euthanasie a été légalisée en Belgique en 2002. La loi stipule que la personne en question doit “se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable”.
Pourtant, la maman de Tom Mortier était en bonne santé physique. Son psychiatre traitant, qui l’a accompagnée pendant plus de 20 ans, n’était pas convaincu que, la concernant, les conditions de la loi belge relative à l’euthanasie étaient rencontrées. Ni l’oncologue qui lui a administré l’injection, ni l’hôpital où elle se trouvait n’ont pris la peine de mettre le psychiatre traitant au courant de la demande d’euthanasie. Quant à son fils, il ne l’a appris que le lendemain du décès, lorsque l’hôpital l’a contacté pour lui demander de s’occuper des arrangements administratifs et pratiques nécessaires.
Tom Mortier se souvient: “Ma mère souffrait de troubles psychologiques graves. Elle est allée de déprime en déprime tout au long de sa vie. Elle a été en traitement psychiatrique pendant des années, et malheureusement, pendant quelque temps, je l’ai un peu perdue de vue. C’est pendant cette période qu’elle a trouvé la mort par injection létale. Jamais je n’aurais pensé ne plus la revoir.”
En réaction au jugement, il a déclaré:
“C’est ainsi que se termine une triste histoire. Bien que rien ne puisse atténuer la douleur de la perte de ma mère, j’espère que la décision de la Cour, selon laquelle il y a effectivement eu violation du droit à la vie, attirera l’attention du monde sur l’immense préjudice que l’euthanasie inflige non seulement aux personnes en situation de vulnérabilité qui envisagent de mettre fin à leur vie, mais aussi à leurs proches et, en fin de compte, à la société toute entière”.
Un précédent positif établi par la Cour européenne des droits de l’homme
“Ce jugement nous rappelle explicitement que les prétendues ‘garanties’ sont inopérantes, car la pratique de tuer intentionnellement une personne n’est jamais sans danger. Nous devons redoubler d’ardeur et défendre le droit à la vie, la vérité et la dignité inhérente à toute personne, quel que soit son âge ou son état de santé”, a déclaré Robert Clarke.